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Anno et sa soit-disant haine d'Evangelion

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Haine me semble un mot bien fort. Depuis peu j'avais entendu des rumeurs comme quoi Anno aimait à « troller » son public, et en les entendant j'y projettais mes propres convictions, à savoir une fanbase qui ne comprend pas le regard serein du génie créateur planant au-dessus d'elle. Mais il semblerait bien que ces rumeurs proviennent de commentaires de Anno lui-même. Dans ce cas je dirais qu'il y a double malentendu. D'abord il y a fanbase et fanbase. Entre les otakus des années 90, cible potentielle des attaques d'hier, et les fans d'aujourd'hui, il y a eu une évolution, et drastique. En gros la fanbase s'est différenciée parce que face à un nouveau genre de production, et s'il y a eu récupération par les otakus, celle-ci a sans doute eu lieu dans un second temps, et j'ai tout lieu de penser qu'elle reste minoritaire. Et donc haïr l'ensemble de la fanbase me semblerait un geste bien idiot de la part de Anno. Je pensais à la série en disant cela, mais le même raisonnement peut s'appliquer à EoE. Même si l'interprétation de NGE comme satire sociale du mouvement otaku en enrichit encore le contenu, je crois que bon nombre de fans n'ont jamais été frappé par cette relation (moi le premier). Dire donc que EoE est un bras d'honneur fait au début de récupération de la série par les otakus, même en imaginant qu'un tel motif recoupe certaines pulsions propres à Anno, nie quand même l'impact premier, artistique, de l'oeuvre pour elle-même, à la fois en sa continuité avec le monde de l'animation de l'époque, et en sa rupture avec ce dit monde. Ainsi, quelle que soient les raisons ayant poussé Anno à représenter des personnages aux personnalités foncièrement dysfonctionnelles dans un environnement hyperréaliste, cette représentation elle-même, et la réalisation dont elle fait l'objet (une fois encore, malgré les contraintes matérielles de budget ou autres), sont révolutionnaires en ce qu'elles placent l'aliénation et ses conflits au centre de l'être humain. Et ses luttes, apportant d'abord un résultat positif dans la série, ensuite pour le moins ambigu dans EoE, contribue à une indécidabilité de la franchise, indécidabilité qui devient profondeur par la mise en forme symbolique et l'ouverture de l'intrigue. On a beaucoup parlé des symboles religieux occidentaux qui ne serait qu'un superstrat cool ajouté par Anno. Mais c'est oublier que la problématique religieuse est foncièrement psychologique en soi, et s'accorde donc parfaitement avec le contenu psychologique premier de la série. Il n'y a ainsi pas à douter qu'un Evangelion qui aurait choisi comme doctrine de référence le bouddho-shintoïsme ambiant, s'il n'aurait (peut être) pas été plus mauvais, aurait été bien moins bon, car se focalisant sur traditions et rituels, et n'ayant pas les nuances et l'abstraction nécessaire à l'étude psychologique (contrairement au Mahayana primitif par exemple). Car ce qu'il y a d'extraordinaire chez NGE, c'est que même si par certains côtés on peut tout à fait replacer les personnages dans une sociologie japonaise – l'indifférence de la persécutée face à ses agresseurs dans une démarche globale de sauver la face, la jeune kouhai qui en pince pour sa sempai, l'insécurité de la jeune femme adulte perpétuant des actes de séduction sur un mineur – par d'autres ils sont à milles lieues des représentations japonaises habituelles, si bien que l'on peut regarder des centaines d'animés faits avant ou après Evangelion sans jamais rien rencontrer d'approchant. Pour bien voir cet aspect novateur, rappelons tout d'abord comment sont souvent représentés les personnages dans les animés. Ils sont en général unidimensionnels, basés sur une idée – vengeance, justice, amité... – et s'ils se trouvent faire des actions incohérentes, celles-ci sont en général soumises au classique « c'était le meilleur moyen de servir mon idée telle que je la définie » (comparer à Naruto et sa voie du ninja). Une exploitation répandue de ce mécanisme concerne des individus proches perpétuant mutuellement des actes blessants parce qu'ils sont jugés comme preuve supérieure d'amour, alors qu'ils apparaissent seulement moins francs, donc moins honteux, donc valorisés socialement. On serait tenté d'y voir une version perverse du tough love, autrui n'étant prétexté que pour être mieux nié (le corollaire d'irresponsabilité étant bien visible). Or qu'a-t-on avec NGE? L'idée décrite plus haut – qui n'est pas un concept immuable et inviolable mais un espèce de fourre-tout idéologique justifiant les moindres actes – est remplacée par un principe de cohérence interne qui ressemble beaucoup plus à une psychologie de personnage, au sens de la tradition occidentale. À noter que si cette tradition est sous-représentée dans le monde de l'animé, elle est par contre plutôt répandue dans le cinéma japonais, et ce depuis les années 50. En conclusion, quand bien même Anno entretiendrait des relations conflictuelles avec sa fanbase quant à ses messages et motivations, rien n'est encore venu démentir l'impact et la puissance simplement artistiques de l'oeuvre.

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